27
Malibu, Californie
Mercredi, 6 h 30
C’est à l’aube que le monde semble le plus irréel, quand il est baigné des premières lueurs qui pointent à l’horizon. Les ténèbres sont chassées. Tout est à nouveau pour le mieux.
Dark était épuisé. Il avait passé les premières heures à errer dans les rues de Santa Monica en discutant avec Riggins jusqu’à 5 heures, moment où ils étaient arrivés dans une cafétéria brillamment éclairée. Ils avaient poursuivi leur conversation devant frites, œufs au plat et toasts arrosés de café. Riggins, en tout cas. Dark n’avait rien mangé.
Riggins lui avait rapporté les derniers ragots de la DAS. Cela n’avait pas pris beaucoup de temps : il ne restait plus grand monde de son époque.
Riggins était donc passé aux nouvelles de ses gosses. Dark avait fait mine de s’y intéresser.
À sa grande surprise, Riggins n’était pas revenu sur Sqweegel. Plus de bébé, de Président ni de niveau 26. Rien.
Dark avait hoché la tête tout en sirotant son café. Trop fort, et froid. L’idée était de se gorger de caféine pour pouvoir rester éveillé.
Quand les premiers rayons du soleil avaient commencé à faire rosir le ciel, Dark avait estimé qu’il pouvait décemment prendre congé. Il avait accordé quelques heures à Riggins ; à présent, il était temps de retrouver Sibby. De retourner au calme quotidien de sa nouvelle vie.
Quelques minutes plus tard, il descendait de son 4x4 pour remonter jusqu’à la porte. Les chiens allaient lui sauter dessus et le couvrir de bave. Et Sibby l’attendrait. Il effleurerait sa peau laiteuse et soyeuse. Se pencherait sur elle et déposerait un baiser juste sous son menton…
Il se pencherait…
Attends un peu.
Dark ne l’aurait pas remarquée s’il n’avait pas machinalement baissé la tête vers la chaussée.
La montre brisée, à quelques pas du trottoir.
C’était une Timex bon marché, plaquée argent. Le verre était brisé. Dark sortit un stylo de sa poche pour la soulever. Elle avait subi le choc à 3 h 14.
Il balaya les alentours du regard. Les oiseaux gazouillaient, les arrosages automatiques chuintaient sur les pelouses. Au-delà, le grondement paisible de l’océan résonnait sur le rivage. Rien qui sorte de l’ordinaire.
Il y avait dans la boîte à gants une pochette en cuir renfermant le manuel d’entretien du 4x4. Dark jeta celui-ci sur le siège et déposa précautionneusement la montre dans la pochette qu’il referma.
Il remonta jusqu’à la porte, l’ouvrit. À peine fut-il entré que les chiens entamèrent un concert d’aboiements. Il tenta de les faire taire tout en se dirigeant vers l’escalier.
— Sibby ?
Pas de réponse.
Son cœur se mit à battre la chamade. Il monta les marches quatre à quatre.
— Sibby !
Il ouvrit d’un seul coup la porte de la chambre et la vit dans le lit. Elle était mal réveillée, mais en vie.
Elle cligna des paupières, se passa une main dans les cheveux et se redressa vivement.
— Chéri ? Tout va bien ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Dark ne pouvait pas lui répondre. Qu’est-ce qui clochait, en réalité ? Le fait qu’il ait trouvé une montre brisée devant chez lui ? Cela n’avait aucun sens. Non, dans les faits, rien ne clochait.
Mais il ne parvenait pas à réprimer l’inquiétude qui s’était immiscée en lui et l’ébranlait tout entier. Il serra le poing si violemment que ses ongles s’enfoncèrent dans sa paume. Il avait besoin de cette douleur pour ne pas perdre le sens des réalités.
Il n’avait pas éprouvé une telle panique, une telle terreur depuis… Non, cela n’allait pas recommencer ! Si ?
N’est-ce pas ce que tu t’étais dit la dernière fois, Steve ? Que tu te comportais comme un idiot, qu’il n’y avait pas de raison de s’inquiéter, que ta famille adoptive allait bien, parce que dans la vraie vie il n’arrive rien de mal aux familles…
Maman. Papa. Grand-mère. Evan. Callie. Emma.
Sibby s’assit, non sans effort. Il était évident qu’il venait de la tirer d’un profond sommeil.
— Steve ! Mais enfin, dis-moi ce qui se passe !
Dark était déjà en train d’ouvrir un tiroir et de repousser les piles de pulls pour s’emparer de son Glock 9 mm. Il y glissa un chargeur.
— Reste ici, dit-il.